L’ espace paysager, une nouveauté du PLUM nantais

-texte publié dans le cadre du magazine OXYMORE 2019-

La création du nouveau terme « EPP » (Espace Paysager à Protéger) dans le règlement du PLUM nantais nous interroge.
Voici la définition que nous donne le règlement du PLUM, approuvé le 5 avril 2019, p.29  :

«  Espace Paysager à Protéger (EPP)  :
Élément tel que haie, zone humide, cœur d’îlot, boisement ou ensemble paysager à protéger pour des motifs d’ordre écologique et/ou paysager, notamment pour favoriser la sauvegarde de son intérêt urbain, paysager et environnemental.
Dans le cas où un terrain est concerné par un Espace Paysager à Protéger identifié au règlement graphique, les constructions, ouvrages et travaux sont autorisés à condition qu’ils ne soient pas de nature à porter atteinte à l’intégrité de cet Espace Paysager à Protéger.
Plus précisément, concernant les zones humides ou les fossés : les constructions, ouvrages et travaux sont autorisés à condition qu’ils ne soient pas de nature à porter atteinte à l’intégrité de cette zone humide ou de ce fossé, tant en termes de préservation des milieux que de fonctionnement hydraulique. »

Pour ce que nous avons pu observer sur la cartographie mise en ligne, ces espaces se trouvent quasiment tous sur des terrains privés, pour la plupart appartenant à des co-propriétés ou des maisons individuelles. Ce sont souvent des cœurs d'îlot ou de grands jardins dont la cime des arbres est visible depuis la rue.
Mais au contraire des “Espaces Boisés Classés” qui encerclent des arbres spécifiques et identifiables, ces EPP ne font que qualifier des « zones », sans interdire le déracinement des arbres qui la constituent et surtout sans qualifier précisément ce qui fait paysage. Est-ce la vue depuis l'espace public ? Est-ce l'existence d'un biotope particulier ? Nous devinons que chaque cas est particulier mais rien ne les distingue ici.
Il est certain que même si les jardins privés sont inaccessibles, ils participent à la qualité de vie non pas de son seul propriétaire mais aussi de tout le voisinage. Créant des vides remplis de verdure, ils sont agréables à regarder et participent à la dépollution de l'air. Ils permettent également la préservation d'un biotope citadin rempli de chants d'oiseaux et autres joies saisonnières. Ces faits sont indéniables et la présence de la nature en ville est sans conteste à préserver et à encourager.
Mais les « EPP » pêchent par un texte imprécis « constructions, ouvrages et travaux sont autorisés à condition qu'ils ne soient pas de nature à porter atteinte à l'intégrité de cet Espace Paysager à Protéger  ». Il semblerait que les constructions ne soient pas totalement interdites, mais on ne sait pas sur quel critère se baser et surtout on ne sait pas comment définir ce qui fait leur « intégrité ».

Il faut savoir également que cette réglementation ne préserve pas réellement la nature présente (à l'inverse des Espaces Boisés Classés) car même si notre jardin est en EPP nous pourrions décider de tout arracher pour mettre uniquement du gazon nourri au pesticides : le texte actuel ne semble pas nous en empêcher. Les EPP ne préservent pas un biotope, ni une image, ni un usage ou une ambiance. L'Espace Paysager à Protéger ne fait qu’empêcher les constructions. Mais alors, cela signifierait que construction s'oppose à paysage  ?

Pour nous un paysage existe aussi avec les bâtiments qui le composent. Délimiter un «  Espace Paysager  » et le définir uniquement par le vide et l'absence d'ouvrage est une grossière erreur, surtout en milieu urbain. Il est dommage que le PLUM ne ce soit pas saisi de cette opportunité pour délimiter plus globalement des zones urbaines où c’est l’articulation entre les constructions et les espaces naturels qui fait « paysage ».

Ainsi, outre la récupération flagrante des surfaces de jardins privés pour augmenter le pourcentage d'espaces naturels métropolitains (alors qu'on sait qu'ils ne demandent pas d'entretien à la municipalité) il est dommage que la métropole n'ai pas envisagé une réglementation plus adaptée afin d’éduquer et de responsabiliser les habitants en les accompagnant dans la préservation de la nature en ville. Aujourd'hui l'EPP arrive comme une nouvelle contrainte, une nouvelle privation de liberté (celle de pouvoir construire une deuxième maison en fond de parcelle, de pouvoir réaliser une extension ou d'agrandir sa terrasse...).

Et si l'EPP devenait un bonus  ?

Et si on était fier que notre propriété soit un espace paysager qui participe à la qualité du quartier  ?

Faire la ville ensemble en passant par la valorisation plutôt que l'interdiction  ?

Peut être qu'être classé en EPP aurait pu être une chance car cela donnerait accès à un dialogue privilégié avec des paysagistes employés par la ville qui aideraient les propriétaires à valoriser leurs biens en accord avec le paysage auxquels ils appartiennent. Et ainsi des aides seraient allouées à l'entretien des jardins, la plantations d'essences appropriées et l’entretien des bâtiments ?

Peut être qu'une construction dans un EPP ne serait pas présentée comme un obstacle au paysage mais comme l'obligation d'une réflexion paysagère intégrant le patrimoine naturel et bâti, le biotope et les écoulements d'eau. Favoriser ainsi la phyto-épuration, des terrasses qui deviennent des enclos privilégié pour insectes et oiseaux, des toitures qui sont pensées comme des jardins potagers accessibles, des façades plantées qui participent à assainir l'air et rafraîchir les villes bétonnées... S'il faut juste respecter des pourcentages d'espaces naturels visibles depuis la rue alors les solutions peuvent s'envisager, avec l'accord d'un paysagiste. Peut être que pour un projet s'inscrivant dans un EPP on aurait le droit de construire un peu plus en recul ou de ne pas aligner complètement sa façade pour laisser la végétation éclater... Les EPP deviendraient des lieux d'expérimentation où l'on pourrait s'affranchir de certaines règles. Guidé par un « paysagiste en chef » chacun pourrait construire en accord avec l'espace naturel existant. Le paysage ainsi décripté permettrait à son propriétaire d’en saisir les qualités et les manques, et envisager chaque projet de construction comme une source possible d’amélioration tout en distinguant précisément ce qu'il faut préserver (une vue, l’absorption des eaux pluviales, un biotope…).
Préserver la nature en ville est un très beau défi mais il faut aussi faire confiance aux volontés individuelles. Avec un texte aussi flou rien ne nous garanti qu'un projet de promotion immobilière ne pourrait pas être accepté demain là où un projet de maison individuelle est refusé aujourd'hui.
Le PLUM devrait encourager les bonnes pratiques en donnant des aides et des outils supplémentaires à ceux qui souhaitent investir du temps et de l'argent dans la préservation des espaces naturels en ville.
Tant que ce patrimoine naturel ne sera pas aussi bien défini que le patrimoine bâti alors il sera difficile à préserver correctement. Nantes ne serait-elle pas en accord avec son temps si elle osait proposer des Paysagistes en Chef et des Paysagistes du Petit Patrimoine Naturel qui accompagneraient et jugeraient les projets à proximité des zones sensibles à l’image de ce que le font les architectes du patrimoine avec le bâti ? Et même en accord avec eux ? Cela permettrait aussi de pouvoir déroger à certaines règles urbanistiques pour mieux préserver la nature et le paysage, là où l’EPP s’applique, et de mettre en place des aides financières pour ceux qui sont propriétaires de ces zones sensibles mais qui n'ont plus les moyens de les entretenir et de les valoriser.



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